Rencontre avec Sadhguru
Sadhguru est un célèbre maître spirituel indien. Son ambition ne semble pas moins que l’éveil des consciences à un niveau planétaire. Pour cela, il utilise les outils de son temps : une application, un site internet, des programmes en ligne (tous existent en version française), sous la marque Isha. Son marketing est particulièrement efficace avec des phrases percutantes relayées sur Instagram et YouTube. Le succès de ce business spirituel m’intriguait : j’ai fait une retraite dans son centre proche de Coimbatore.
C’est un endroit agréable : le moindre détail a été pensé avec soin pour créer une atmosphère harmonieuse et paisible. On s’y sent bien, hors du monde, entouré d’une végétation soignée, de bâtiments dessinés avec goût. Un peu élevé en altitude, le site offre un air pur, chose rare en Inde. Les espaces de méditation consacrés dégagent une qualité vibratoire étonnamment puissante alors qu’ils ont été construits récemment. Ceux qui vivent dans ce centre circulent vêtus de couleurs claires, les pieds nus, souvent les mains en prière au centre de la poitrine. Tout semble chorégraphié avec fluidité et grâce.
Pourtant 2 000 personnes participent à cette retraite, avec plus de 50 nationalités représentées ! Les indiens de la classe moyenne, tous de culture hindou, sont les plus nombreux. Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne avec au moins 5 catégories différentes. Ceux qui ont payé le prix fort, comme ce groupe de singapouriens, logent dans des bungalows de luxe climatisés, ont des places réservées au premier rang et mangent dans une salle à part, assis à table. Dans la catégorie la plus basique que j’ai choisie, on dort à même le sol dans un immense hall de méditation, on mange dehors, par terre, avec la main droite pour cuillère. Vivre dans ces conditions-là ne me demande pas d’effort particulier, je suis à l’aise. On pourra critiquer cette manière hiérarchique de traiter les uns et les autres en fonction de leur moyens financiers. Mais les indiens payent aussi bien moins cher que les occidentaux pour une catégorie identique, ce qui me semble juste.
Le premier matin, j’observe une grande excitation dans l’air : nous allons rencontrer Sadhguru. Il arrive en musique, élégant, charismatique comme une star de cinéma. Au début de mon voyage, des personnes éclairées me disent qu’il n’est qu’une pâle copie d’Osho (1931 – 1990), un autre grand maitre spirituel indien, aussi respecté que critiqué (regarder le documentaire « Wild Wild Country » sur Netflix si le sujet vous intéresse). Excellent orateur, nous écoutons Sadhguru deux heures par jour raconter une succession d’anecdotes et de blagues qui ont un but plus éducatif que spirituel : apprendre à vivre en conscience, à faire une chose à la fois, à sentir que les portes de l’enfer et du paradis sont en nous. Alors que je m’attendais à recevoir de précieux enseignements, je sors déçue de ces sessions. Il séduit pourtant la foule qui l’applaudit et réagit à chacun de ses « allooo !? ».
Mes résistances face à l’homme ne m’ont pas empêché de me consacrer pleinement aux processus proposés et je dois avouer que j’ai été subjuguée. Les expériences du sacré ne sont pas faciles à décrire parce qu’elles se passent intérieurement. Je pourrai vous raconter la longue procession, ce mantra récité en boucle par tous du matin au soir, les offrandes de riz, de graines et de feuilles de plantes sacrées, le rituel de purification avec une immersion dans l’eau, les corps en transe… A plusieurs reprises je me suis sentie touchée par la grâce dans un état de béatitude.
La semaine s’est terminée avec Mahashivratri, l’un des festivals sacrés hindous les plus importants. L’exubérante célébration organisée à Isha Center avec les performances de nombreux artistes, de 18h à 6h du matin, rassemble des milliers de personnes sur place et des millions derrière leur écran. L’événement ferait plus d’audience que le Super Bowl aux États-Unis ! Cette exposition médiatique a attiré la Présidente de l’Inde qui a pris la parole sur scène : une récupération politique inattendue, mais aussi une manière d’officialiser les messages de Sadhguru, de nourrir son aura et son désir d’expansion. Dans le tourbillon de la fête, considérée comme « expérience spirituelle intense », cela m’a laissé perplexe. Mais j’ai trouvé le discours de Sadhguru cette nuit-là plus percutant avec l’engagement publique d’introduire 15 à 20 min de méditation quotidienne dans la vie de 2 milliards de personnes. Je lui souhaite de gagner son pari !