Ma cure ayurvédique
Mon voyage s’est poursuivi par trois semaines de cure ayurvédique. Il existe en Inde de beaux complexes hôteliers spécialisés en Ayurvéda conçus pour les étrangers. J’en ai fait l’expérience il y a quelques années pour décompresser après l’ouverture du Louvre Abu Dhabi. Cette fois mon choix s’est tourné vers une clinique de campagne, simple et discrète, sans buffet ni piscine, avec des patients d’origine indienne en majorité.
La médecine ayurvédique, ou « science de la vie », propose une approche holistique de la santé en prenant l’être humain dans sa totalité. Elle questionne l’environnement dans lequel nous vivons, ce que l’on ressent, notre niveau de stress et de satisfaction, nos habitudes, etc. Je n’ai aucun problème de santé sérieux. Mon intention était d’être reboostée sur tous les plans, physique, énergétique, mental, spirituel. Le programme que le médecin me prescrit s’appelle Panchakarma (pancha = 5, karma = action). Il se déroule en cinq étapes dont l'objectif est de purifier le corps et l'esprit en provoquant l’élimination des éléments toxiques de l'organisme. Selon l’Ayurveda, l’origine des maladies provient des toxines accumulées dans le corps. Panchakarma est une thérapie courante que l’on pourrait idéalement suivre une fois par an en prévention, mais elle requiert un minimum de 21 jours.
La première phase consiste à ingérer du ghee liquide (beurre clarifié) pendant plusieurs jours d’affilé. Le ghee s’infiltre dans le corps, au niveau des organes, des cellules, pour que les toxines s’y fixent. C’est écœurant, cela me coupe l’appétit. De toute façon la seule nourriture offerte à ce moment de la cure s’appelle Kanji : une soupe fade dans laquelle flotte des grains de riz. Ce porridge déprimant est pourtant considéré comme l’un des plats les plus digestes. Je ressens cette phase comme une régression : comateuse et épuisée, mon corps est lourd, je n’arrive à rien. Ensuite vient la sudation par la vapeur chaude, puis la purge. Le médecin me prescrit une mixture qui fait aller aux toilettes. Comme un essorage des organes, sans douleur, les toxines vont se détacher progressivement des cellules et être évacuées sous la forme d’un liquide clair et trouble. Je fais peau neuve de l’intérieur et retrouve mon énergie petit à petit. Commencent alors les massages Abhyanga à l’huile chaude pendant 60 minutes tous les jours jusqu’à la fin de mon séjour. Les techniques de massage permettent de faire remonter les toxines à la surface. Enfin on me prescrit sept jours du soin appelé Shirodhara : un filet d’huile tiède est versé en continu sur le front. Cela détend en profondeur le système nerveux. Ces soins me font aussi traverser des émotions inattendues (colère, agacement, tristesse, nervosité). On m’explique que cela fait partie du processus de purification : on laisse remonter à la surface ce qui doit être nettoyé sur le plan émotionnel également.
L’alimentation occupe une place centrale dans l’Ayurvéda avec une attention particulière apportée à la digestion. Si le corps ne peut pas digérer quelque chose, alors elle devient une toxine. L’accumulation des toxines est responsable des maladies. Les repas servis associent les traditions culinaires d’Inde du Sud, en version diététique selon les principes de l’Ayurvéda : kitcheri, idly, appam, dhaal, dosa, coconut chutney, légumes vapeurs... C’est une diète royale pour moi, je suis végétarienne et tombée dans la marmite de la cuisine indienne depuis l’adolescence. Pas de farine raffinée, ni de sucre, à part le fructose des pommes, bananes et grenades. Rien de frit, gras, cru, pimenté et fermenté, car ce n’est pas digeste. Sans surprise, pas de café ni d’alcool, parce qu’ils sont déshydratants et stimulants (comme le chocolat d’ailleurs). J’apprends que le corps n’aime pas du tout être stimulé. C’est pourquoi l’ayurvéda recommande la modération en tout : alimentation, activités physiques et mentales. Le mal de nos sociétés : surmenage et suralimentation. En résumé, on fait trop, on pense trop, on mange trop.
Les médecins me demandent de me reposer le plus possible. Pas question de faire des postures de yoga dynamiques ni de travailler. Ils me conseillent même de ne pas lire de livres trop compliqués ! Je ne devrais pas marcher plus de 30 minutes par jour, ni prendre le soleil. Je décide quand même de prolonger mes escapades dans la nature à l’heure du coucher de soleil en traversant les champs de bananiers et de cocotiers. A l’affut de capter la beauté du monde et d’autres curiosités, je fais la rencontre d’un veau juste une heure après sa naissance. Dans cet environnement je me réveille naturellement à 6h du matin. Mon séjour ressemble presque à une retraite de silence. Ma chambre est à l’écart dans les jardins et je ne rencontre pas les autres patients. Pourtant je reçois de nombreuses visites. Les médecins viennent me voir le matin et l’après-midi, l’infirmière vient prendre ma tension. Un garçon souriant m’apporte mes repas dans une lunch box en inox et des tisanes. Une vieille femme vient le soir faire bruler l’encens qui écarte les moustiques. Il y a aussi des visites pour le linge, le ménage, mon traitement (phytothérapie) et pour la commande des repas. Bref on prend soin de moi. C’est bien réel : je n’ai rien à faire, juste à être.
Cette clinique s’inscrit dans la tradition védique, elle intègre des rituels de bénédictions autour des soins. Imaginer un hôpital français où l’on prendrait le temps d’allumer une bougie et un bâton d’encens avant un traitement, où l’on prierait avec un mantra pour demander santé et protection pour le patient. Cela m’a bouleversée car je suis convaincue que le processus de guérison est activé par la qualité de la vibration qui accompagne un soin. Une prière augmente la fréquence vibratoire du sujet vers lequel elle est dirigée. Dans cette même tradition, je me rends au temple quotidiennement, à 7h30 ou 18h30, pour les pujas (rites pour honorer les divinités). A chaque fois j’offre quelques roupies ou une fleur d’hibiscus. Le prêtre me verse quelques gouttes d’eau bénite sur la tête et me donne des prasads (offrande bénie avant d'être redistribuée aux fidèles à la fin d’une puja). Enfin je dépose au point entre mes sourcils de la poudre de kumkum rouge : ce bindi qui marque le 6e chakra Ajna, à l’emplacement du 3e œil, cette porte vers l’éveil de la conscience.
Chaque jour je me rends à la séance de méditation sur chaise offerte par la clinique. La séquence imaginée par la professeure m’apporte la confirmation d’un enseignement qui s’est présenté à moi pendant tout mon séjour indien : « less is more ». On peut l’appliquer à tant de choses de la vie. C’est pourtant presque à l’opposé de la manière dont j’ai été formée au yoga. La déconstruction de ma croyance m’a passionnée. Autrement dit, on peut obtenir de fabuleux résultats sans avoir besoin d’en faire beaucoup, en termes d’efforts (qu’ils soient physiques ou pas) ou de durée. Bonne nouvelle n’est-ce pas ? Encore faut-il avoir la volonté de s’asseoir pour pratiquer, se connecter à son identité profonde, poser des intentions dans la direction de ses rêves.